J’ai tout mon temps disait la pierre aux arêtes vives. J’ai tout mon temps pour devenir galet. Pendant que passeront des milliers de vos vies. Pendant que tant d’êtres naîtront et mourront, je roulerai mon temps au fond de la mer « toujours recommencée » comme disait le poète de «l’île singulière».
Je roulerai ma vie mais sans souffrance, avec la patience de l’éternité.
Comment dites vous ? Je ne sers à rien ? Ma vie est vide ? Je suis froid donc sans vie, sans plaisir, sans projet?
Et être toujours bercé par le ressac n’est ce pas une belle vie ?
Et être poli par de minuscules grains de sable, par l’eau, et même par le vent à marée basse n’est ce pas un bel emploi du temps ?
Et avoir pour but d’être doux sous vos pieds, de vous caresser au lieu de vous blesser, de faire en roulant ce bruit si doux, si rassurant que ceux qui habitent au bord de la mer ne peuvent plus s’en passer n’est ce pas un beau projet ?
Et puis avoir vu passer sur la même plage vos plus lointains ancêtres et puis Hannibal et Christophe Colomb et un jour vous et vos enfants au couchant d'un jour d'été....et si vous saviez combien de fois vos mains m'ont caressé, combien de fois j'ai roulé sous vos pieds... Oui telle a été ma vie: prendre part à la votre de la manière la plus humble qui soit mais vous conviendrez avec moi que la plupart d'entre vous n'a pas plus d'incidence sur le sort du monde que le simple galet que je suis.
J’entends –parce que j’entends bien sûr- j’entends que les pôles fondent et que le niveau des mers va monter. Cela me chagrine car je sais que des centaines de millions d’entre vous vivent au bord de l’eau et vont devoir partir. Pour moi cela ne changera rien : la vague me ramènera toujours sur la plage et j’y découvrirai un nouveau paysage pour continuer mon plaisir de Sisyphe.
Et si demain vous faites exploser la bombe je serai encore là, même pas ébloui par son éclat et vous passerez près de moi, fuyant la fin de votre monde pour aller nulle part. Ne faites pas cette folie. Pensez toujours à vos enfants. Que même les hommes raisonnent comme des femmes, qui, pour avoir porté la vie, en sont plus respectueuses. J’ai envie d’être un minuscule grain de sable entre les orteils de vos arrière arrière arrière petits enfants. Et pour ce faire il me faut beaucoup de temps. Alors donnez leur cette chance de me rencontrer un jour et quand ils me feront couler entre leurs doigts je leur parlerai de vous et ils vous seront reconnaissant d’avoir permis que nos routes se croisent…
Il faut que je vous laisse car la marée arrive et j'ai rendez vous avec la mer.
vendredi 27 février 2009
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