dimanche 31 août 2008

Le temps de manger

Les dieux sont au-dessus des contingences terrestres mais nous avons en commun avec vous quelques travers . Ce que vous appelez des défauts et qui ne sont en fait que des traits grossis comme ceux des caricaturistes. Et il est très agréable, même pour un dieu, de s’entendre flatter. Vous devez penser que c’est notre quotidien, que les prières montent vers nous à plein chapelet, que rien n’est trop beau pour Dieu comme disait le curé d’Ars. Il n’en est rien. La plupart de ces artifices font comme les fusées du même nom et retombent avant d’avoir atteint les premières nuées. Au sujet de vos supplications aux dieux de toutes les chapelles je vous invite à réfléchir à ce que disait Karen Blixen dans « Out of Africa » : « Quand les dieux veulent vous punir, ils exhaussent nos prières ». Pensez y la prochaine fois.



Je constate avec désespoir (et pour désespérer Hadès il en faut…) je constate donc cette énergie que vous déployez à gagner du temps pour pouvoir en perdre davantage. Et cette folie accélératrice va se nicher dans toutes vos activités y compris tout ce qui touche à l’alimentation. Hier soir une amie de mon hôte lui disait qu’elle avait envoyé ses enfants chercher à manger chez « Mac Do ». Je me suis renseigné sur cette enseigne. C’est effrayant : la réflexion qui a mené ce monsieur à lancer sa chaîne (le mot est bien choisi) de magasins est la suivante : il voulait pouvoir trouver, partout et à tout heure dans ses déplacements, le même plat qu’il connaissait. Voilà la philosophie de ce boui-boui. L’ennui naquit un jour de l’uniformité disait le poète. Manger partout et toujours la même chose et le plus vite possible. Tu parles d’un programme ! Quelle pauvreté ! Moi qui ne rêve que de découvrir de nouveaux plats, de nouvelles cuisines, de nouveaux fruits. Ouvrir son goût c’est l’éveiller, le développer, et par la même occasion c’est découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles personnes, de nouvelles cultures. On dit d’ailleurs partager un repas et cela dépasse la nécessité biologique de faire fonctionner la machine. Et quand on a partagé un repas avec quelqu’un, on a fait un savant mélange de saveurs, d’esprit et d’humanité. On se connaît mieux et quand on connaît l’autre on n’a plus peur de lui et quand on n’a pas plus peur de lui on n’a plus envie de lui faire la guerre. Conclusion : si les américains sont les plus va t en guerre sur votre planète c’est qu’ils sont gavés de Mac Do. CQFD

Depuis que l’homme est homme on mesure le degré de son évolution par différents marqueurs. On a ainsi observé qu’avec le temps on trouvait moins d’éclats perdus sur les sites où vos ancêtres taillaient les silex ce qui révélait une maîtrise progressive du geste. Il en va de même avec la recherche de la nourriture. A l’aube de votre humanité, quand vos lointains cousins ressemblaient déjà aux supporters du PSG, cette tache (je veux parler de la recherche de nourriture et pas des supporters du PSG ...quoique...) cette tache prenait tout votre temps. Au fil de l’évolution elle en a nécessité de moins en moins et aujourd’hui on peut régler çà en deux coups les gros. On dit que c’est un progrès….je n’en suis pas sûr. Le plaisir du choix du menu,de la préparation seul ou à plusieurs, de la préparation, du service, du goût partagé, de la découverte, je pourrai continuer ainsi pendant longtemps. Et ce temps serait du temps perdu? Mais c'est exactement le contraire!Vous ne savez plus faire de pose pour manger comme pour le reste. Réfléchissez à mon conseil en le suivant à la lettre « prenez le temps » c’est ainsi que vous le maîtriserez.

jeudi 21 août 2008

Atacama

Atacama, nord du Chili. Désert absolu où, par endroit, il n’est pas tombé une goutte d’eau depuis des siècles. A part quelques rares et minuscules oasis, pas de vie sauf quelques traces de bactéries…..

Mon hôte rêve de traverser ce lieu avec sa Perséphone.
Seuls tous les deux comme dans un jardin d’Eden où ils seraient porteurs de toute la vie.
Seuls pour que leur attention ne soit pas distraite par des manifestations du vivant autres que celles de l’être aimé.
Seuls pour que tous leur sens soient concentrés sur l’autre afin de n’en rien perdre, de profiter totalement de lui, d’être autant son seul secours qu’il est le votre…
Seuls car l’unique palpitation sera le cœur de l’autre.

Atacama aussi car le désert est le lieu des révélations : révélation de soi d’abord dans la solitude totale, la difficulté de vivre dans une nature vide dont la seule mais terrible hostilité est l’absence de tout repère matériel, humain, social, culturel ; révélation de l’autre comme on ne le connaît peut-être pas ; révélation du sens de la vie dans ce lieu où elle n’est pas familière…

Atacama enfin car le mot seul raisonne comme une incantation de prêtre inca. Il est déjà porteur de mystère, de magie. Le prononcer c’est voyager dans le temps, c’est s’ouvrir des portes cachées sous les pierres. Il invite l’imagination. Il fait peur et il attire, il donne envie d’aller plus loin…

Et puis tout simplement parce que c’est dans un désert qu’est apparu le petit Prince…

vendredi 15 août 2008

Ingrid

Il n’y a pas d’âge pour apprendre à lire. Mon hôte, par exemple, qui a allègrement dépassé le demi-siècle, continue son apprentissage de la lecture. Quand il usait ses fonds de culotte sur les bancs de l’école communale, la seule lecture que l’on apprenait était la même depuis toujours c'est-à-dire la lecture de l’écrit. Depuis cette époque, les temps et le monde ont bien changé et petit à petit, l’image a remplacé l’écrit et c’est à l’apprentissage de cette lecture de l’image que continue à s’atteler mon cher hôte.

Comme tous les curieux, il aime bien faire le travail que se doit de faire tout bon journaliste c'est-à-dire vérifier les sources, les tenants et aboutissants, replacer l’information dans son contexte bref faire un travail d’investigation car il sait bien que la manipulation des populations a toujours été un outil des hommes de pouvoir et de leurs valets. Alors quand un sujet est sur toutes les bouches, sur toutes les unes, sur toutes les télévisions il faut qu’il cherche, s’interroge, sache davantage.

Et le sujet qui a brulé les planches il y a quelques semaines c’est bien sûr la libération d’Ingrid Bettancourt. Je sais ce que vous vous dites : ce gars va encore jouer les empêcheurs de se réjouir en rond, il va trouver tous les défauts à cette pauvre femme, etc….Postulat de départ : étant un otage, Ingrid Bettancourt était par définition innocente : on peut comprendre certaines prises d’otages mais on ne peut pas les accepter. Comprendre un crime c’est y trouver des explications voire des circonstances atténuantes, ne pas l’accepter, c’est le juger et si besoin le condamner. On ne peut donc que se réjouir de la libération de cette femme : pour elle-même d’abord, pour sa famille ensuite.

La seule certitude qui restera sur cette libération c’est que l’on ne saura jamais ce qui s’est passé exactement. On a tout entendu et son contraire et je ne vais pas refaire les JT. Les scénarii les plus abracadabrantesques ont été imaginés.

Mais maintenant que le soufflé est retombé, tout téléspectateur un peu attentif n’a pas manqué de se poser un certain nombre de questions sur l’excellente santé d’Ingrid Bettancourt (d’après les médecins qui l’ont examiné), sur sa récupération physique et psychologique depuis Décembre dernier notamment où on la disait mourante, sur ses nombreux interviews, ses nombreux allers retours Colombie France (épuisants avec le décalage horaire) au lieu de se ressourcer avec sa famille et ses enfants qu’elle n’a pas vu grandir, son omniprésence dans les médias en particulier en France ?

Cela fait beaucoup de questions qui sont évidentes et dire que c’est faire du mauvais esprit que de les poser, c’est considérer que tout ce que les médias nous servent est la vérité absolue. Parlons-en des médias justement. Petit rappel sur la grande estime en laquelle leurs responsables tiennent les téléspectateurs. Il y a quelques mois l’un des deux responsables de TF1 (je crois que c’était Patrick Le Lay) s’était laissé aller, pour une fois, à un élan de sincérité, déclarant que ce que TF1 vendait à ses annonceurs « c’était des espaces de cerveau disponibles ». Cette seule déclaration aurait du suffire à inciter les dits téléspectateurs à aller s’enchaîner ailleurs mais non TF1 reste en tête des indices de part de marché comme quoi Descartes avait raison « l’intelligence est la chose la mieux répartie etc.. » A défaut de respecter ceux qui le font vivre Le Lay respecte pour une fois la vérité. France 2 n’est guère mieux loti puisque Pujadas n’a pas hésité à qualifier Ingrid Bettancourt de « sainte ».

C’est là où l’apprentissage de la lecture reprend tout son sens. L’affaire Bettancourt n’est qu’un évènement de plus qui doit nous inviter à la vigilance : chercher à savoir c’est être citoyen. Dans cette histoire où les gentils (l’armée colombienne) et les méchants (les FARC) ont été clairement identifiés , il est intéressant de creuser et quand on creuse on s’aperçoit que la vérité n’est pas aussi tranchée, que l’économie colombienne est livrée depuis des dizaines d’années à de grandes multinationales américaines qui interviennent sans contrainte sociale ou environnementale. Un épisode sanglant et bien réel en est d’ailleurs rapporté dans « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez lorsque le 5 Décembre 1928, plusieurs centaines de travailleurs bananiers ont été assassinés par l’armée colombienne pour défendre les intérêts de l’United Fruit Company. Depuis cette date plusieurs villages ont été rasés :hommes, femmes , enfants massacrés pour s’être opposés aux « gentils militaires », non sans avoir été baptisés « dangereux guérilleros » avant d’être passés par les armes. C’est de l’histoire ancienne me direz vous. Non . D’abord parce que ça continue. Ensuite parce qu’en politique aussi la laideur a ceci de supérieur à la beauté en ce sens qu’elle dure et en politique la laideur absolue est le non respect des droits humains. Les FARC sont les descendants de ces populations toujours exploitées, toujours méprisées et souvent massacrées. Certes leur mouvement n’est pas toujours blanc blanc, certes ils sont impliqués dans le trafic de drogue (comme de hauts responsables militaires colombiens d’ailleurs) mais de grâce cessez cette classification ange/démon.

Mon hôte ne veut en aucun cas être « téeffeunisé » alors il s’interroge et il doute et il cherche et il trouve d’autres analyses que les officielles, des questions à poser et parfois pas de réponses en face. Le net sert à çà, utilisez le ! Apprenez à lire en permanence et apprenez à lire à vos enfants. Mon hôte n’est ni pire ni meilleur que les autres. Il lui arrive lui aussi de céder à l’émotion devant certaines images mais il essaie - sans toujours y parvenir- de regarder si rien n’est caché sous le tapis.

« Devenir adulte, c'est apprendre à vivre dans le doute et à développer, au travers des expériences, sa propre philosophie, sa propre morale. Éviter le "prêt-à-penser" »

Hubert Reeves

Pour terminer sur une note qui fera l’unanimité je vous livre ce petit bijou du cher Victor sur l’utilité et la grandeur de la lecture.






A qui la faute ?

Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?

- Oui.
J'ai mis le feu là.

- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

- Je ne sais pas lire.

Victor Hugo