La
loi n° 97-1019 du 28 Octobre 1997 portant réforme du service national a sonné
le glas de cet extraordinaire regroupement d’individus du même sexe masculin
que constituait le service militaire. Et c’est bien dommage vous dira
l’antimilitariste primaire que je suis. Je m’explique.
Certes
je ne regrette pas que l’on ait cessé d’apprendre à des jeunes gens pas plus
belliqueux, au départ, que d’autres, à aller tuer un étranger toujours
« plus ou moins barbare » comme disait le poète. Mais le temps
passé sous les drapeaux (quelle belle expression tout de même !) n’était
pas seulement occupé aux fines stratégies de combat, aux maniements des armes
et aux célèbres grandes manœuvres qui n’étaient que l’exercice pratique
validant les acquis de l’expérience comme on dit maintenant. Que faisait-on à
l’armée ? Cela tient dans une seule phrase : on n’y faisait rien mais
on le faisait ensemble, en ordre et de bonne heure.
Toutes
les recrues étaient destinées à finir comme fantassin. Cela me conduit à un
aparté sur le vocabulaire militaire : chacun sait que, la langue ayant évoluée avec le progrès,
chaque activité humaine a développé un vocabulaire spécialisé qui représente le
double avantage de faciliter la communication entre les spécialistes et ensuite
et surtout de tenir à l’écart les béotiens que sont tous les autres. Les
militaires n’ont pas échappé à cette règle et les expressions ou sens de
certains mots y sont …pittoresques. Déjà le simple ajout de l’adjectif
« militaire » derrière un certain nombre de noms communs fait
réfléchir. Par exemple si je vous dis «j’écoute régulièrement de
la musique militaire » vous vous dites tiens ce gars ne travaille pas
dans une maternité ou alors dans un lebensborn. Si je vous dis « la
justice militaire n’est pas dépensière » vous vous dites : mais oui
bien sûr car douze balles dans le cœur coutent quand même moins cher qu’un bon avocat. Et
donc l’expression « finir comme un fantassin », quand elle est
traduite en français, signifie qu’on ne
deviendra pas général et ensuite qu’on vivra moins longtemps que lui.
Fin
de l’aparté sinon je ne sais plus ou j’en suis !
Donc
finir comme un fantassin voulait dire qu’on ne se ferait pas vieux et qu’avant
de mourir on ferait du sport et surtout de la marche à pied. Dans cette marche
pour la Liberté
et le Bien Commun (ben oui tout çà était forcément de notre côté sinon c’est à
désespérer d’être dans le camp des gentils !) le fantassin se trouve parfois à avoir une
rivière à traverser. L’armée, qui a les réponses à toutes
les questions que l’on se pose (et aussi et surtout à celles que l’on ne
se pose pas) a bien sûr trouvé la solution : apprendre à nager à tous ces
petits piou piou. Aussitôt dit aussitôt fait …enfin presque.
A proximité de toute caserne qui se respecte
il y a le plus souvent une piscine municipale dont quelques créneaux horaires
sont réservés à l’apprentissage de la natation. Pas de vocabulaire détourné
cette fois : il s’agit bien d’apprendre à nager tout simplement par contre
quand je vous aurai narré la méthode d’apprentissage (qui vaut son pesant de
grenades à plâtre) vous serez d’accord avec moi pour reconnaître que cette
méthode est bien « militaire » ! Pour information, votre serviteur a
à peu près les mêmes capacités natatoires qu’un fer à repasser moyen encore
que, et je m’en excuse auprès de la
noble corporation des fers à repasser, mais j’étais plus efficace que les dits
fers à repasser pour toucher le fonds, car, par un phénomène physique encore inexpliqué
à ce jour je descends comme un bloc de fonte à tel point que mes copains avait
fini par me baptiser Titanic.
Or
donc, après le petit footing de décrassage (à cette époque nous étions tous
propres comme des sous neufs tant nous étions décrassés) de 06h30 (à cette
heure là ça circule bien) nous partions en camion bâché (le grand luxe en
matière de transport en commun) vers la piscine municipale. A l’arrivée,
quelques hurlements de notre sergent chef préféré (on n’en avait qu’un
d’ailleurs) nous ordonnent de nous séparer en deux groupes de chaque côté
de la piscine : gradins de droite, les nageurs ; gradins de gauche
les non nageurs. Jusque là rien à dire : on ne va pas gaspiller l’argent
du contribuable à apprendre ce que l’on sait déjà. Nous étions tous équipés de
maillot de bain bleu marine, avec lesquels on nous aurait jeté des pierres sur
n’importe quelle plage du midi.
Ayant
depuis toujours une relation conflictuelle avec l’eau dès qu’elle déborde de
mon verre, je suis, avec cet élément, d’une prudence hors du commun. Et
prudence est mère de sureté, grand-mère de certitude de vivre vieux, tante de
tous les centenaires, cousine par alliance des retraités de plus de 90 ans et
bisaïeule de Jeanne Calment. C’est sur la base de cette réflexion salutaire que
je me joignis au groupe des nageurs car le sergent chef avait annoncé qu’on
allait commencer par les « enclumes » (sic), catégorie assez proche
de la mienne : les blocs de fonte. Je m’installais donc sur le plus haut
des gradins car il permettait la meilleure vue et surtout il était le plus
éloigné de l’eau.
Le
spectacle qui s’en suivit me conforta dans mon choix : les non nageurs se
présentaient au bord du bassin, à l’endroit le plus profond, et devaient
plonger et se saisir d’une perche que tenait un maître nageur juste au-dessus
de l’eau. Ce fut le premier maître nageur que je vis et la profession n’en est
pas sortie grandie par sa prestation. Dès que l’apprenti avait saisi la perche,
le maître nageur enfonçait celle-ci dans l’eau et le bidasse avec. Le spectacle
qui s’en suivit acheva de séparer les deux groupes : les nageurs se
marrant comme des baleines (forcément !) et les non nageurs, attendant
leur tour et affichant un visage plus
désespéré que la Pieta
du grand Michelangelo. Après avoir laissé barboter le pauvre hère quelques
secondes on le rapprochait de la vie terrestre c'est-à-dire du bord de la
piscine. L’expérience continua ainsi jusqu’au dernier, blanc comme un linge et
tremblant comme une feuille, que le sergent chef dut aider d’un grand coup de
pied au cul tant son appétence pour la perche était timide. Vint alors le tour
des nageurs et vous vous demandez sûrement comment j’allais sortir de ce piège
dans lequel je m’étais moi-même fourré ? Insoutenable suspens ! Mais
comment est ce que ce type qu’il va faire pour éviter le ridicule à coup sûr et
peut-être la noyade ? Fastoche : je me suis mêlé aux non nageurs et à
leur repos bien mérité. Certes la sécheresse de ma peau et de mes cheveux en a
surpris quelques uns mais ils étaient vivants et cela seul comptait pour eux.
Quant au sergent chef il était trop occupé à invectiver les 30 soldats d’élite
pour me remarquer.
Voilà
comment, dans les années 70, l’armée française préparait ses conscrits à
l’inévitable troisième guerre mondiale qui finalement n’eut pas lieu et l’on ne
s’en plaindra pas. On voit par là que si la discipline est la première force
des armées la natation vient quand même loin derrière dans le même
classement.