vendredi 18 mai 2012

Le nom de ma Rose


Ma vie vient de me ramener à la mémoire un évènement oublié depuis au moins 45 ans. Je devais avoir 12 ou 13 ans à l’époque et ma libido, dont j’ignorai jusqu’à l’existence, était encore en sommeil profond. Mes parents embauchaient chaque année pour les vendanges quelques « coupeurs » dont le travail consistait à…ben oui couper le raisin car à cette époque les machines à vendanger n’étaient même pas sur les tables à dessin des ingénieurs en machine agricole. Pendant longtemps des trains entiers de vendangeurs espagnols ont débarqué dans le midi au mois de septembre pour y réaliser une bonne partie de leur revenu de l’année. C’était à l’époque de Franco où tout allait pour le mieux dans la meilleure des Espagnes possibles puisque dès qu’il y en a un qui bougeait une oreille on se chargeait de le calmer avec le garrot.

Donc mes parents avaient embauché plusieurs coupeurs parmi lesquels il y avait une jeune femme qui, dans mémoire, devait avoir une vingtaine d’années. J’en garde le souvenir d’une fille à la peau mate, grande (pour mon âge) des cheveux très noirs et des yeux très noirs également. Je crois me souvenir qu’elle était gitane. Je la regardai comme la grande sœur que je n’avais jamais eue et même en travaillant près d’elle je ne me souviens pas avoir jeté un seul regard dans son décolleté, car, comme il faisait souvent très chaud on travaillait en tenue légère.

Le dernier jour des vendanges était marqué par une petite fête – la soulinque - où l’on partageait quelques gâteaux et du vin muscat. C’était l’occasion de se rappeler les moments agréables de ce pénible travail qui durait au moins deux semaines sans interruption. Ce soir là, ma mère me demanda d’aller chercher une serviette de toilette dans l’armoire de sa chambre. J’entrai dans la chambre sans frapper, comme j’avais l’habitude de le faire, et je tombai sur la superbe gitane. Elle était en train de s’habiller et elle m’est apparue en culotte (le string était inconnu à l’époque) et soutien-gorge noir. Je m’excusai platement mais ma présence ne la dérangea pas. C’est pas grave j’ai l’habitude avec mes frères me dit elle pour me rassurer. Je pris la serviette dans l’armoire maternelle et je sortis non sans la regarder encore une fois. Mais mon regard avait changé et c’était la première fois que j’éprouvai cette sensation qu’on appelle le désir, encore inconnue, encore indéfinie mais tout de même bien là. Ce fut mon premier émoi. Pourquoi ce petit morceau de vie m’est revenu en mémoire aujourd’hui ? Va savoir.

Elle s’appelait Lyly.

jeudi 17 mai 2012

Chronique de la natation en kaki


La loi n° 97-1019 du 28 Octobre 1997 portant réforme du service national a sonné le glas de cet extraordinaire regroupement d’individus du même sexe masculin que constituait le service militaire. Et c’est bien dommage vous dira l’antimilitariste primaire que je suis. Je m’explique.

Certes je ne regrette pas que l’on ait cessé d’apprendre à des jeunes gens pas plus belliqueux, au départ, que d’autres, à aller tuer un étranger toujours « plus ou moins  barbare » comme disait le poète. Mais le temps passé sous les drapeaux (quelle belle expression tout de même !) n’était pas seulement occupé aux fines stratégies de combat, aux maniements des armes et aux célèbres grandes manœuvres qui n’étaient que l’exercice pratique validant les acquis de l’expérience comme on dit maintenant. Que faisait-on à l’armée ? Cela tient dans une seule phrase : on n’y faisait rien mais on le faisait ensemble, en ordre et de bonne heure.

Toutes les recrues étaient destinées à finir comme fantassin. Cela me conduit à un aparté sur le vocabulaire militaire : chacun sait  que, la langue ayant évoluée avec le progrès, chaque activité humaine a développé un vocabulaire spécialisé qui représente le double avantage de faciliter la communication entre les spécialistes et ensuite et surtout de tenir à l’écart les béotiens que sont tous les autres. Les militaires n’ont pas échappé à cette règle et les expressions ou sens de certains mots y sont …pittoresques. Déjà le simple ajout de l’adjectif « militaire » derrière un certain nombre de noms communs fait réfléchir. Par exemple si je vous dis «j’écoute régulièrement de la musique militaire » vous vous dites tiens ce gars ne travaille pas dans une maternité ou alors dans un lebensborn. Si je vous dis « la justice militaire n’est pas dépensière » vous vous dites : mais oui bien sûr car douze balles dans le cœur coutent  quand même moins cher qu’un bon avocat. Et donc l’expression « finir comme un fantassin », quand elle est traduite en français, signifie  qu’on ne deviendra pas général et ensuite qu’on vivra moins longtemps que lui.

Fin de l’aparté sinon je ne sais plus ou j’en suis !

Donc finir comme un fantassin voulait dire qu’on ne se ferait pas vieux et qu’avant de mourir on ferait du sport et surtout de la marche à pied. Dans cette marche pour la Liberté et le Bien Commun (ben oui tout çà était forcément de notre côté sinon c’est à désespérer d’être dans le camp des gentils !)  le fantassin se trouve parfois à avoir une rivière à traverser. L’armée, qui a les réponses  à toutes   les questions que l’on se pose (et aussi et surtout à celles que l’on ne se pose pas) a bien sûr trouvé la solution : apprendre à nager à tous ces petits piou piou. Aussitôt dit aussitôt fait …enfin presque.


 A proximité de toute caserne qui se respecte il y a le plus souvent une piscine municipale dont quelques créneaux horaires sont réservés à l’apprentissage de la natation. Pas de vocabulaire détourné cette fois : il s’agit bien d’apprendre à nager tout simplement par contre quand je vous aurai narré la méthode d’apprentissage (qui vaut son pesant de grenades à plâtre) vous serez d’accord avec moi pour reconnaître que cette méthode est bien « militaire » ! Pour information, votre serviteur a à peu près les mêmes capacités natatoires qu’un fer à repasser moyen encore que, et  je m’en excuse auprès de la noble corporation des fers à repasser, mais j’étais plus efficace que les dits fers à repasser pour toucher le fonds, car, par un phénomène physique encore inexpliqué à ce jour je descends comme un bloc de fonte à tel point que mes copains avait fini par me baptiser Titanic.

Or donc, après le petit footing de décrassage (à cette époque nous étions tous propres comme des sous neufs tant nous étions décrassés) de 06h30 (à cette heure là ça circule bien) nous partions en camion bâché (le grand luxe en matière de transport en commun) vers la piscine municipale. A l’arrivée, quelques hurlements de notre sergent chef préféré (on n’en avait qu’un d’ailleurs) nous ordonnent de nous séparer en deux groupes de chaque côté de la piscine : gradins de droite, les nageurs ; gradins de gauche les non nageurs. Jusque là rien à dire : on ne va pas gaspiller l’argent du contribuable à apprendre ce que l’on sait déjà. Nous étions tous équipés de maillot de bain bleu marine, avec lesquels on nous aurait jeté des pierres sur n’importe quelle plage du midi.

Ayant depuis toujours une relation conflictuelle avec l’eau dès qu’elle déborde de mon verre, je suis, avec cet élément, d’une prudence hors du commun. Et prudence est mère de sureté, grand-mère de certitude de vivre vieux, tante de tous les centenaires, cousine par alliance des retraités de plus de 90 ans et bisaïeule de Jeanne Calment. C’est sur la base de cette réflexion salutaire que je me joignis au groupe des nageurs car le sergent chef avait annoncé qu’on allait commencer par les « enclumes » (sic), catégorie assez proche de la mienne : les blocs de fonte. Je m’installais donc sur le plus haut des gradins car il permettait la meilleure vue et surtout il était le plus éloigné de l’eau.

Le spectacle qui s’en suivit me conforta dans mon choix : les non nageurs se présentaient au bord du bassin, à l’endroit le plus profond, et devaient plonger et se saisir d’une perche que tenait un maître nageur juste au-dessus de l’eau. Ce fut le premier maître nageur que je vis et la profession n’en est pas sortie grandie par sa prestation. Dès que l’apprenti avait saisi la perche, le maître nageur enfonçait celle-ci dans l’eau et le bidasse avec. Le spectacle qui s’en suivit acheva de séparer les deux groupes : les nageurs se marrant comme des baleines (forcément !) et les non nageurs, attendant leur tour et  affichant un visage plus désespéré que la Pieta du grand Michelangelo. Après avoir laissé barboter le pauvre hère quelques secondes on le rapprochait de la vie terrestre c'est-à-dire du bord de la piscine. L’expérience continua ainsi jusqu’au dernier, blanc comme un linge et tremblant comme une feuille, que le sergent chef dut aider d’un grand coup de pied au cul tant son appétence pour la perche était timide. Vint alors le tour des nageurs et vous vous demandez sûrement comment j’allais sortir de ce piège dans lequel je m’étais moi-même fourré ? Insoutenable suspens ! Mais comment est ce que ce type qu’il va faire pour éviter le ridicule à coup sûr et peut-être la noyade ? Fastoche : je me suis mêlé aux non nageurs et à leur repos bien mérité. Certes la sécheresse de ma peau et de mes cheveux en a surpris quelques uns mais ils étaient vivants et cela seul comptait pour eux. Quant au sergent chef il était trop occupé à invectiver les 30 soldats d’élite pour me remarquer.

Voilà comment, dans les années 70, l’armée française préparait ses conscrits à l’inévitable troisième guerre mondiale qui finalement n’eut pas lieu et l’on ne s’en plaindra pas. On voit par là que si la discipline est la première force des armées la natation vient quand même loin derrière dans le même classement. 

dimanche 29 avril 2012

Chronique de la bétise au front de taureau

Face à la démesure des discours de notre Président pour s'aliéner les voix de l’extrême je repense au poète Baudelaire :

L'examen de minuit

La pendule , sonnant minuit
Ironiquement nous engage
A nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s'enfuit:
— Aujourd’hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d’un hérétique.

Nous avons blasphémé Jésus,
 Des Dieux le plus incontestable !
 De quelque monstrueux Crésus,
 Comme un parasite à la table
 Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute

Contristé, servile bourreau,
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme bêtise,
 La Bêtise au front de taureau ;
 Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
 Et de la putréfaction
 Béni la blafarde lumière.


Enfin, nous avons, pour noyer
 Le vertige dans le délire,
 Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,
 Dont la gloire est de déployer
L'ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim !...
- Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !




Envoyez le moi, je vais m'occuper de lui!

mercredi 25 avril 2012

Chronique de l'homme invisible

Au temps de mes jeunes années je suivais avec assiduité les aventures de l’homme invisible. Comme il n’y avait pas de télé à la maison (ben oui c’est çà les pauvres sont toujours à la traine avec les nouvelles technologies) donc sans télé à la maison j’allais voir mon feuilleton (ça s’appelait pas encore série) au café de la place ainsi nommé car il n’y avait ni gare ni canal dans mon village ! Et je garde l’image d’un gars qui se baladait en costard cravate (genre Cary Grant) avec lunettes noires et chapeau et avec ou sans bandelettes selon qu’il avait eu ou pas le temps de les mettre ou qu’il se trouvait avec ses potes. Il intervenait aussi en tant qu’homme invisible mais alors pour de vrai puisqu’il était recruté et payé pour çà et là c’était génial parce qu’on ne le voyait plus du tout. Dans cette dernière situation le suspens était à son comble car il pouvait intervenir à tout moment puisque n’étant nulle part il était bien sûr partout à la fois et, tel Jésus, il manifestait sa présence en renversant une table ou en balançant un marron au méchant qui n’y comprenait rien alors que de son côté le Jésus faisait son intéressant en multipliant les pains ou les malades je ne sais plus!

 Ce qui nous fascinait du haut de nos douze treize ans c’était bien sûr son invisibilité. On imaginait tout ce qu’on aurait pu faire si on arrivait à être comme lui. Pour faire bref çà tournait assez souvent autour de nos copines. Faut dire qu’en ce temps là (et sérieusement c’était mieux ainsi) en ce temps là donc la pornographie n’ayant pas pignon sur rue ou sur net, fallait avoir beaucoup d’imagination quand on pensait aux filles ou alors une petite sœur qu’on aurait vu toute nue pendant que Maman lui faisait sa toilette ou alors un grand frère qui achetait sous le manteau le fameux Paris Hollywood qui aujourd’hui ressemblerait au journal mensuel d’un lycée catho de province ; c’est vous dire si le corps féminin était secret !

Si je cause de cet homme invisible c’est que j’ai vu dans une boutique une réédition en DVD de ce feuilleton. Avec le recul je me suis dit qu’il se cassait pas le tronc pour la mise en scène le réalisateur. Le top du top étant quand l’heureux élu qui avait décroché le rôle titre ne pouvait pas être sur le plateau car il avait piscine ou rendez vous chez le dentiste. T’inquiètes pas mon gars, on va faire tomber trois chaises et puis c’est tout par contre pour le cachet tu repasseras bien sûr !

De cette invisibilité physique gnan gnan l’actualité m’a ramené à une invisibilité virtuelle qui nous a échappé et nous échappe tous les jours davantage. Deux infos trouvées ces jours ci : d’abord et encore et toujours la malheureuse Grèce où il est question, afin de lutter contre la fraude fiscale (l’enfer est toujours pavé (à propos de pavés va falloir en faire livrer je crois !) de bonnes intentions), il est question de ficher tous les grecs et d’enregistrer toutes leurs dépenses. Et ensuite il y a un américain qui aurait tout larguer pour vivre dans une grotte depuis douze ans, jetant tout ce qui rappelle la société de consommation et changeant même son nom.

Ya pas d’autres solutions pour ne plus être fiché ? C’est çà le prix à payer de l’invisibilité : remonter dans les arbres comme Oncle Vania mais on n’en sortira jamais alors ??? Il m’arrive parfois, pour des raisons pratiques, d’emprunter le portable familial. Et bien j’éprouve un réel soulagement quand je m’en débarrasse. Big Brother est bien là, partout autour de nous, avec les réseaux, les caméras, tous les systèmes sans fils qui nous attachent sans le dire ou alors en nous disant que c’est pour nous protéger. Je dirai plutôt nous prothèser, nous mettre une atèle à la liberté tant elle est lourde à porter. Oui Seigneur Big Brother Prothèsez nous s’il vous plait !

Moi qui ai toujours été d’un naturel timide pour ne pas dire sauvage, le fait qu’ON puisse savoir en permanence où je suis m’est insupportable. Déjà ici mon nom d’emprunt fait référence à tout ce qu’il y a de plus discret : pour vivre heureux vivons caché ! A la réflexion il ne reste que deux alternatives : être SDF c'est-à-dire être partout donc nulle part –comme l’homme invisible tiens donc- ou bien céder à la tentation de Démocrite dont parle Onfray dans son livre le recours aux forêts « pour retrouver le sens de la terre » et rester toujours à la même place, sous la terre, pour « prendre sa place dans le cosmos ». C’est finalement cette dernière solution qui a ma préférence mais je ne suis pas pressé d’aller sous la terre (ça me rappelle le boulot !). J’ai encore à revoir la Pieta , les noces de Cana, écouter don Giovanni à Salzbourg et mettre du bon vin en bouteille dans ma cave. Tout ça avec ma Perséphone que je ne désespère pas de retrouver et avec laquelle je me verrai bien passer l’éternité dans le cosmos.