mercredi 16 août 2023

Claudius le Chevelu

 

Claudius le Chevelu

Si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi. Toutes celles et tous ceux de ma génération et même les plus anciens se souviennent encore de cette maxime ayant valeur de menace prononcée par Jean Marais dans Le Bossu, film de cape et d’épée  de plus de 50 ans. Si je commence mon billet par cette formule c’est qu’elle vient de me revenir à l’esprit par l’entremise d’une mienne amie qui m’a raconté, dernièrement, une tranche de vie de son vieux père, qui répond au prénom de Claude. S’il faut en croire la description de sa fille aînée, le Claude en question est un vénérable octogénaire pas très grand mais fort en volume et en gueule. Il jouit d’une retraite bien méritée, puisqu’il a été, sa vie durant, vigneron,  métier passionnant mais difficile et excusez du peu, vigneron et producteur en Champagne.

Claude, quand il a besoin de se faire couper les cheveux, appelle son coiffeur qui vient opérer chez son client comme cela se fait de plus en plus. Or donc il y a peu, le cheveu ayant poussé au-delà du supportable, notre ami Claude appela son coiffeur préféré mais celui ne pouvant se déplacer, le vigneron chevelu fut contraint de s’en aller à la ville voisine chez un professionnel de la coupe. Il choisit une enseigne ayant pignon sur rue puisque nationale pour se faire dégarnir la colline.  La petite demoiselle (que nous appellerons Mégane histoire de ne pas la perdre au fil de l’aventure) qui allait devoir s’occuper de notre ami, ignorait, le matin même, dans le huis clos de sa salle de bains, qu’elle allait avoir à gérer un client chez qui la logique, le bon sens et l’humour (et parfois la mauvaise foi dixit sa fille) se disputaient la première place chaque fois qu’il ouvrait le bouche !

Sitôt franchi le seuil, il commença par demander un devis ou quelque chose d’approchant et on lui répondit 22.00€. Il faillit s’étrangler fulminant, que son coiffeur venait CHEZ lui pour 15.00 € et qu’il trouvait fort de café (il utilisa je crois une autre expression plus fleurie) de banquer plus cher alors que c’est lui qui payait les frais de déplacement. Voyant qu’il n’y avait rien à faire il abandonna le marchandage.

La petite Mégane  lui présenta ensuite un catalogue et lui proposa de choisir, parmi les différents modèles, la coupe qu’il souhaitait. Le Claude, dont les cheveux ne dépassaient pas les 5 cm, choisit la bobine d’un gars dont les cheveux bouclés mesuraient au moins 20 cm de plus. La  demoiselle, un peu décontenancée, essaya de lui expliquer que ce n’était pas possible….

Vînt ensuite le lavage des cheveux que Claude le chevelu refusa énergiquement  au motif qu’il sortait de la douche et qu’il avait pris soin de se laver les cheveux. La petite coiffeuse (elles font pas des métiers faciles finalement !) la petite coiffeuse donc, lui annonça que, comme on ne lui lavait pas les cheveux, on allait les mouiller avec un vaporisateur pour faciliter la coupe. Tendre enfant ! Mais à qui croyait elle avoir à faire ? Le Claude l’envoya à la pèche lui précisant qu’il n’était pas question de lui mouiller les cheveux parce qu’après qu’on les ait coupés, ils restent collés au crâne et quand ils ont séché, loin de la boutique du merlan, « ben ça r’bique » comme dit le gars Claude ! On lui couperait les cheveux à sec ou pas du tout !

Pendant que la Mégane attaquait le col du désespoir et finissait sa deuxième boite de prozac, notre cher Claude s’installait confortablement dans un fauteuil pour qu’on commençât enfin et surtout qu’on en finisse ! Quand elle crut qu’elle en avait enfin terminé avec une coupe qu’on ne lui avait jamais appris à faire, notre très cher Claude lui demanda si la présence de cet escalier « pour monter au grenier » était normale sur la partie gauche de son crane.

Cette fois sa décision (à Mégane) était prise : ce soir elle ne rentrerait pas chez elle et irait se jeter directement dans la Marne ! C’en n’était pourtant pas fini pour elle. Quand elle présenta à Claude un miroir pour qu’il se rendit compte du résultat devant et derrière il se contenta de répondre que ce n’était pas la coupe qu’il avait commandée (la fameuse mauvaise foi !).

Comme tous les grands artistes notre cher Claude soigna bien sûr sa sortie et quand il se retrouva à la caisse, il prit un billet de 20.00 €, le déposa sur le comptoir en disant que çà suffisait bien et sortit comme l’empereur romain dont il portait si haut l’illustre prénom !

Mon cher Claude, je ne te connais pas mais je connais ton champagne que je consomme avec modération mais bon il m’arrive parfois de m’en tomber une bouteille tout seul histoire de partir en voyage avec la femme de mes rêves. Je ne te connais pas mais je t’adore parce que j’aurais bien aimé faire la même sortie chez un coupeur de cheveux en quatre de mon quartier ! Que la familiarité de mon tutoiement ne te heurte pas. A l’instar de Prévert, j’aime bien dire « Tu » aux gens que j’aime et quand on fait du vin comme tu le fais et qu’on se paye un moment récréatif comme celui passé chez ton coiffeur on ne peut pas être foncièrement mauvais !

Je parlais au début de Lagardère et de film de cape et d’épée et j’ai raconté une histoire de cape et de ciseaux. Et si le coiffeur ne va pas à Claude c’est Claude qui ira au coiffeur et ce ne fut pas une menace en l’air : la petite Mégane peut en témoigner (oui finalement Claude l’a empêchée de se jeter dans la Marne). Prends soin de toi Claude, tu sais que ta grande fille, qui m’a raconté ton histoire, tient beaucoup à toi !

 

Post Scriptum du 16/08/2023

J’ai écrit ce billet il y a une dizaine d’années et je n’en changerai pas une virgule mais le temps passe et fait tourner la roue de la vie. Le cher Claude a été enlevé par la camarde à l’Amour des siens il y a bientôt cinq ans. Il repose dans cette terre champenoise qu’il a tant aimée et qui le lui a bien rendu. Je l’ai croisé quelques fois et il ressemblait bien au portrait que m’en avait fait sa grande fille…

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