mardi 27 septembre 2011

La fin de l'Histoire

Il y a quelques mois je suis repassé par Strasbourg que je n’avais plus revu depuis plus de vingt ans et j’ai arpenté avec toujours le même plaisir le quartier autour de la cathédrale. Mes pas m’ont conduit sur la place Gutenberg où se dresse la statue de ….Gutenberg : gagné (sont malins ces alsaciens (remarquez ils l’auraient appelée la Place de la gare on n’aurait pas compris !)).Gutenberg est représenté, debout, tenant une feuille de papier où est écrit « Et la lumière fut », phrase gravée dans le bronze. Cela renvoie bien sûr au premier livre du premier imprimeur. Et je me suis dit qu’on allait à grand pas vers la fin de l’écrit-papier avec l’invasion tous les jours plus massive des supports numériques.

On a tous appris que l’arrivée de l’écriture est l’évènement qui sépare la préhistoire de l’histoire. En clair, environ 4000 ans avant JC, un supporter du PSG entre un soir dans une grotte et le lendemain matin c’est un écrivain qui en ressort. Certes ce n’est pas encore un prix Nobel de littérature mais c’est son ancêtre : sacrée mutation tout de même.

Parmi les premiers vestiges d’écriture on trouve des tablettes d’argile sur lesquelles étaient gravés des signes plus ou moins géométriques. Certaines de ces tablettes n’étaient même pas cuites et le sac de la ville où elles furent trouvées et l’incendie qui s’en suivit assurèrent cette cuisson grâce à laquelle elles sont arrivées jusqu’à nous. A cette époque, l’artiste prenait donc déjà le pas sur le barbare, qui croyant condamner à l’oubli la cité conquise en la brûlant lui donnait son éternité. Plus près de nous Hitler a voulu faire la même chose avec Guernica et Picasso est passé derrière lui.

Je ne vais pas refaire toute l’histoire de l’écrit mais juste rappeler qu’en 6 000 ans on est passé de l’argile au sable dont on extrait le silicium et les derniers supports que nous avons tous en poche aujourd’hui, les clés USB, permettent de stocker chacune, plusieurs dizaines ou centaines de fois une encyclopédie. C’est dire si l’on a gagné de la place en chemin. Mais au final à quoi cela nous sert-il ? Quand bien même tout le savoir accumulé par l’humanité tiendrait sur le bout du doigt nous ne pourrions pas le découvrir car notre temps à chacun est compté et puis surtout, surtout, tous les supports existants ou à venir n’auront jamais l’autonomie et donc la liberté du support physique qu’est le papier.

Alors on me dira que je suis un empêcheur d’avancer, que de tout temps il y a eu des réfractaires au progrès et que si on les avait écoutés on serait encore à se geler dans une grotte sans feu à mastiquer sans plaisir un bout de barbaque cru, nauséabond et indigeste. Peut-être mais je ne suis pas comme l’Oncle Vania cher à Roy Lewis et je ne suis pas pour tout jeter aux orties mais avaler les avancées techniques sans sourciller ni se poser de questions revient à dire que tout est bon et qu’il n’y a qu’à suivre le troupeau. C’est oublier que les zozos qui se chargent de préparer notre avenir créent en permanence des biens et des services mais aussi et surtout et d’abord des besoins. C’est oublier aussi que le progrès nous a donné quelques belles réalisations comme la Bombe avec un grand B comme BOUM. C’est oublier enfin, tout simplement que ce n’est pas le microprocesseur qui fait l’humanité mais le contraire et nous devenons tous les jours un peu plus les esclaves de nos inventions à 2 balles.

Pour en revenir à l’écrit puisque c’est mon propos et au livre en particulier, il est clair que rien ne remplacera le livre papier. Certes tu peux déjà partir avec ta bibliothèque du Congrès sous le bras mais il te faudra des fils, des piles, de l’électricité enfin tout ce bordel de liens qui te menottent quand tu penses qu’ils te libèrent et te montrent bien les limites physiques du numérique.

Des archéologues ont trouvé, près du mur d’Hadrien (C’est pas mon voisin Hadrien hein ! C’est un empereur romain qui, pour occuper ses soldats, les a envoyé faire un mur en Ecosse.) Bon, ben , au pied du mur y avait plus le maçon mais on a retrouvé des lettres écrites sur des écorces de bouleau. 2000 ans après on a pu lire sur des écorces de bouleau une correspondance entre une romaine et sa famille restée à Rome. Quand je pense que moi, aujourd’hui, ma clé USB a planté et que j’ai paumé tout ce que j’avais sauvegardé ça laisse rêveur non ? Et y en a qui viennent me dire que c’est le progrès de perdre un an de boulot en une fraction de seconde.

La correspondance justement parlons en : il y en a eu de très célèbres qui sont parvenues jusqu’à nous. Et sans aller chercher les génies de la littérature nous avons tous dans les greniers de nos parents ou de nos grands parents des paquets de lettres précieusement ficelés et conservés tels des bouts de la vraie croix. Ma regrettée mère a ainsi conservé toutes mes lettres de mon temps d’internat. Je les ai retrouvé après sa mort et n’est pas pu me résoudre à les jeter, laissant ce nécessaire nettoyage à la génération suivante. Quelle correspondance nous laisseront les SMS et consorts où l’onomatopée a pris le pas sur le mot et la suite de lettres sur la phrase. Que garderont les amoureux transis de leur échange de lettres parfumées pleines d’espoir ? D’ailleurs Moustaki a bien senti venir le coup puisqu’il a fait mourir son jeune facteur dès la fin des années soixante pour ne pas l’obliger à troquer ses lettres d’amour pour des paquets de pub.

Le livre est peut-être condamné car il prend du temps : à être écrit, à être imprimé, à être lu et le temps est une denrée qui réclame patience dans un monde où seul l’instant compte. Il prend même du temps à être détruit. On sait que toutes les dictatures se sont attachées à détruire l’écrit qui n’était pas aux ordres, on sait que ces régimes vous brulent pour un mot de « travers » mais on sait aussi que des prisons les plus closes des livres ont réussi à sortir pour crier la vérité ! Si le livre disparaît et avec lui l’écriture alors plus de mémoire et cette perte de mémoire signera peut-être le fin de l’Histoire.

Notre espèce pourra continuer d’exister mais nous aurons perdu notre humanité. J’espère avoir disparu avant !

9 commentaires:

Michel HUVET, journaliste, écrivain a dit…

Un peu pessimiste, mais fort intéressant. Je ne crois pas que l'écrit disparaîtra (le livre non plus) même si cette instantanéité contemporaine a quelque chose d'affolant. Avec le silence, la disparition de la mémoire est à craindre, elle aussi. Mais la resistance peut se lever, doit se lever.

Hadès a dit…

Ni le livre ni l'écrit ne disparaitront mais ils risquent de devenir l'apanage d'une élite, d'une caste comme au début de l'Histoire finalement. Peut-être que, là aussi, l'Histoire sera un éternel recommencement!

Anonyme a dit…

Comme je partage ton avis, très cher Hadès ! Etonnant non ?

Hadès a dit…

Ma chère Bérénice le partage il n'y a que çà de vrai: avoir du bien plutôt qu'avoir du bien. Cela faisait longtemps sans toi..trop longtemps. Et les mots, tu le sais bien, disent tout: ce que leurs fait le dictionnaire, ce que leurs fait dire celui qui les formule et bien sûr ce que leurs fait dire celle ou celui à qui ils sont destinés...

dj_canet a dit…

Très bien, HADES !
Et as tu imprimé tous les textes de ton blog ?
Oui, et gnagnagni et patati et patata et puis faites ce que je râle mais ne faites pas ce que je ne fais pas......
Là, ça déborde, oui.
Il y a tout de même quelque chose d'étrange dans le comportement humain, considérer l'écrit comme étant en voie de disparition....
Moi, sur mon téléphone portable, je conserve tous les SMS que je reçois, et je les enregistre sur mon PC, qui archive tout depuis plus de 10 ans...sur disque dur.
Ensuite, je peux l'imprimer.
La fin de l'histoire sera plutôt lorsqu'il n'y aura plus d'énergie pour tout ça...et ça vaut aussi pour l'impression...
Là, tu parles de la clé USB qui a tout paumé, bien !
Mais une clé usb se doit d'être considéré comme un post it à jeter plus que comme un espace de stockage efficace, c'est du jetable.
DJ_CANET qui viens de voter pour les primaires.

Anonyme a dit…

Le mot de la faim,Des bulles formelles et des belles formules ou des mules fort belles merci "mon dieu"

Hadès a dit…

Oui DJ j'imprime tout ce qui a été publié et même plein d'autres choses car je publie pas tout. Certes il faudra toujours une énergie pour publier, et du papier, et de l'encre mais tout cela existe dans la nature. Il suffit de le trouver ou plutôt de le retrouver. Nous le retrouverions par nécessité et je ne le souhaite pas car ce serait signe de grands malheurs!

Merci à toi Macao pour cette belle enluminure finale ...là où elle n'est jamais!

chalou a dit…

A mon avis, le livre n'est pas victime du numérique, de l'informatique, du progrès, mais plutôt du comportement humain apparu il y a plus de 50 ans : La sur-consommation. On consomme et on jette. Mouchoirs, vaisselles, nappes, téléphone (plus de batterie, on change).... un livre, un texte, un SMS, une fois lu a quoi sert un support papier !! C'est une observation mais je n'approuve pas. J'ai toujours révé d'avoir un grand mur couvert de livre !!.

Hadès a dit…

Merci de ta visite Chalou. Je crois que le fin du livre est liée effectivement au consumérisme comme mode de vis parce que le livre prend du temps et que la consommation abroge le temps puisque seul l'instant compte ce qui rejoint ce que tu as écrit.