mardi 11 novembre 2008

Papé

Chez moi dans le midi on dit Papé en tout cas quand j’étais gosse c’est comme çà que je l’appelai.. Aujourd’hui j’ai une pensée pour lui à cause de la date. Il l’avait faite cette putain de guerre. Était-elle pire que les autres ? Je n’en sais rien puisque je n’ai jamais fait la guerre. C’était quand même une belle saloperie. Je ne l’ai jamais entendu en parler et le peu que j’en sais c’est par ma mère que je l’ai appris. Il a été orphelin à 8 ans et placé par ses oncles comme berger dans l’Aveyron. Il dormait avec les moutons, dans la paille et chipait souvent le crouton au chien pour finir de se remplir le ventre.



Il est parti faire ses trois ans de service militaire en 1909 en Algérie pour en revenir en 1912 et là il a eu un petit répit de 2 ans avant de repartir pour le front. Il n’est revenu qu’au milieu de 1920 puisqu’il a rapatrié des prisonniers de guerre depuis le Danemark : j’ai retrouvé une carte postale de Copenhague de Mai 1920. Il se battait pour rien et pour personne puisqu’il n’avait plus de famille et rien qui lui appartenait. Comme les autres il est passé par tous les lieux de triste mémoire.



J’ai conservé trois souvenirs de lui. D’abord la plaque qui portait son nom et son lieu de mobilisation et qu’on lui aurait arrachée du cou s’il avait été tué, ensuite quelques lettres qu’il a envoyées à ma grand-mère, sa chère Marie et enfin un état de ses blessures établi après la guerre par la Mairie.

Je ne vais jamais aux cérémonies du 11 Novembre. La seule à laquelle je pourrais participer serait celle de Gentioux dans la Creuse où il est écrit sur le monument aux morts « Que maudite soit la guerre ».



Je garde aussi de lui l’image d’un homme peu expansif mais plein d’attention, Il avait la main leste mais ses calottes contenaient au moins autant d’amour que de réprimande Il a été viticulteur le reste de sa vie. Ce n’était pas sa destinée mais les malheurs de la vie l’ont guidé vers le midi et je crois qu’il y a été heureux.



Un jour il a eu une attaque (à l’époque on n’avait pas encore inventé les AVC…) et il n’a pas très bien récupéré du côté gauche alors il fallait l’aider pour certains gestes. Moi par exemple je lui portais sa chaufferette tous les après-midi au bistrot où il allait jouer au rami avec ses copains. Parfois il revenait au bout de 5 minutes car il s’était enguelé avec un des joueurs mais le lendemain c’était oublié.



J’aurais aimé être né plus tôt pour essayer de parler avec lui de cet enfer, avoir son témoignage. La vie ne l’a pas permis.



Je suis né dans la chambre en face de la sienne, là où il est mort une nuit de Mai 1969. Je me souviens très bien de ce jour là. J’étais en pension et le samedi matin je rentrais chez moi. Un ami de mes parents est venu me chercher à la gare et m’a posé devant la maison. Mon père m’a ouvert la porte et à mon sourire il a compris que l’ami ne m’avait rien dit. Il aurait bien aimé qu’un autre fasse le sale boulot mais çà lui est revenu. C’était normal. Il m’a dit : Papé est mort. Je suis resté comme un idiot quelques secondes avant d’éclater en sanglots. C’était mon premier deuil et mon Papé a été le premier mort que j’ai vu. A l’époque les gens mouraient le plus souvent chez eux. Dans la salle à manger il y avait un dessus de cercueil de fleurs rouges. J’avais un peu d’appréhension à aller le voir. Il était sur son lit. J’ai caressé son visage. Il était froid et dur comme une pierre. J’ai pleuré et je pleure encore en écrivant ces lignes et en pensant à lui…



Tous ces morts, lui et ceux qui ont suivi, m’ont pris chacun un peu de ma vie et je me demande ce qui palpite encore en moi…peut-être la vie de mes enfants.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Un papé différent de celui de Macao, mais qui lui plairait énormément.
J'ai fini par dénicher votre antre, cher Hadès. Il ne me reste plus qu'à aviser les autres ! :-D
Pour l'histoire, mon fils, il n'y a pas si longtemps, a perdu son papé, et il a fait comme vous... il l'a recoiffé, il l'a caressé, il lui a parlé... je l'ai trouvé très courageux, et surtout, j'ai vu ses yeux rempli d'amour !

Anonyme a dit…

Bien le bonsoir et surtout merci de ton aide dans les moments difficiles!ce soir je ne vais pas trop te lire mais demain je vais y passer du temps surtout que tu aimes Gotlib comme j'ai aimé Reiser bises et à bientôt j'espère! macao!
UN GRAND merci à Bérénice qui t'as déniché!!!

Anonyme a dit…

Je suis très ému par ce texte car il faut que je te dise que je suis orphelin et en 1952 j'ai été placé chez un un oncle et une tante dans l'aveyron à Cransac et j'ai gardé moutons et chèvres pendant sept ans!
Juste un petit clin d'œil au hasard des rencontres sur internet!

Tulipe a dit…

Mon papé à moi s'appelait Gaby.
On l'appelait Pépère. Le plus doux nom qui soit avec Maman.
Il était militaire. Je crois qu'il n'a jamais fait la guerre. Pour celle ci, il était bien trop jeune. Pour l'autre, il était au Maroc.
Il parlait des chevaux dont il s'occupait, du Maroc et des Marocains qu'il aimait, de la terre qu'il cultivait, de la vie...
Il n'est plus là, mais toujours si présent. Je lui parle toujours. Je m'assois toujours sur ce banc de son jardin et je le sais, il est assis à mes côtés. Et je l'écoute.
Sa Marguerite, ma Mémère, l'a rejoint l'an passé, ravivant la douleur.