mercredi 25 avril 2012

Chronique de l'homme invisible

Au temps de mes jeunes années je suivais avec assiduité les aventures de l’homme invisible. Comme il n’y avait pas de télé à la maison (ben oui c’est çà les pauvres sont toujours à la traine avec les nouvelles technologies) donc sans télé à la maison j’allais voir mon feuilleton (ça s’appelait pas encore série) au café de la place ainsi nommé car il n’y avait ni gare ni canal dans mon village ! Et je garde l’image d’un gars qui se baladait en costard cravate (genre Cary Grant) avec lunettes noires et chapeau et avec ou sans bandelettes selon qu’il avait eu ou pas le temps de les mettre ou qu’il se trouvait avec ses potes. Il intervenait aussi en tant qu’homme invisible mais alors pour de vrai puisqu’il était recruté et payé pour çà et là c’était génial parce qu’on ne le voyait plus du tout. Dans cette dernière situation le suspens était à son comble car il pouvait intervenir à tout moment puisque n’étant nulle part il était bien sûr partout à la fois et, tel Jésus, il manifestait sa présence en renversant une table ou en balançant un marron au méchant qui n’y comprenait rien alors que de son côté le Jésus faisait son intéressant en multipliant les pains ou les malades je ne sais plus!

 Ce qui nous fascinait du haut de nos douze treize ans c’était bien sûr son invisibilité. On imaginait tout ce qu’on aurait pu faire si on arrivait à être comme lui. Pour faire bref çà tournait assez souvent autour de nos copines. Faut dire qu’en ce temps là (et sérieusement c’était mieux ainsi) en ce temps là donc la pornographie n’ayant pas pignon sur rue ou sur net, fallait avoir beaucoup d’imagination quand on pensait aux filles ou alors une petite sœur qu’on aurait vu toute nue pendant que Maman lui faisait sa toilette ou alors un grand frère qui achetait sous le manteau le fameux Paris Hollywood qui aujourd’hui ressemblerait au journal mensuel d’un lycée catho de province ; c’est vous dire si le corps féminin était secret !

Si je cause de cet homme invisible c’est que j’ai vu dans une boutique une réédition en DVD de ce feuilleton. Avec le recul je me suis dit qu’il se cassait pas le tronc pour la mise en scène le réalisateur. Le top du top étant quand l’heureux élu qui avait décroché le rôle titre ne pouvait pas être sur le plateau car il avait piscine ou rendez vous chez le dentiste. T’inquiètes pas mon gars, on va faire tomber trois chaises et puis c’est tout par contre pour le cachet tu repasseras bien sûr !

De cette invisibilité physique gnan gnan l’actualité m’a ramené à une invisibilité virtuelle qui nous a échappé et nous échappe tous les jours davantage. Deux infos trouvées ces jours ci : d’abord et encore et toujours la malheureuse Grèce où il est question, afin de lutter contre la fraude fiscale (l’enfer est toujours pavé (à propos de pavés va falloir en faire livrer je crois !) de bonnes intentions), il est question de ficher tous les grecs et d’enregistrer toutes leurs dépenses. Et ensuite il y a un américain qui aurait tout larguer pour vivre dans une grotte depuis douze ans, jetant tout ce qui rappelle la société de consommation et changeant même son nom.

Ya pas d’autres solutions pour ne plus être fiché ? C’est çà le prix à payer de l’invisibilité : remonter dans les arbres comme Oncle Vania mais on n’en sortira jamais alors ??? Il m’arrive parfois, pour des raisons pratiques, d’emprunter le portable familial. Et bien j’éprouve un réel soulagement quand je m’en débarrasse. Big Brother est bien là, partout autour de nous, avec les réseaux, les caméras, tous les systèmes sans fils qui nous attachent sans le dire ou alors en nous disant que c’est pour nous protéger. Je dirai plutôt nous prothèser, nous mettre une atèle à la liberté tant elle est lourde à porter. Oui Seigneur Big Brother Prothèsez nous s’il vous plait !

Moi qui ai toujours été d’un naturel timide pour ne pas dire sauvage, le fait qu’ON puisse savoir en permanence où je suis m’est insupportable. Déjà ici mon nom d’emprunt fait référence à tout ce qu’il y a de plus discret : pour vivre heureux vivons caché ! A la réflexion il ne reste que deux alternatives : être SDF c'est-à-dire être partout donc nulle part –comme l’homme invisible tiens donc- ou bien céder à la tentation de Démocrite dont parle Onfray dans son livre le recours aux forêts « pour retrouver le sens de la terre » et rester toujours à la même place, sous la terre, pour « prendre sa place dans le cosmos ». C’est finalement cette dernière solution qui a ma préférence mais je ne suis pas pressé d’aller sous la terre (ça me rappelle le boulot !). J’ai encore à revoir la Pieta , les noces de Cana, écouter don Giovanni à Salzbourg et mettre du bon vin en bouteille dans ma cave. Tout ça avec ma Perséphone que je ne désespère pas de retrouver et avec laquelle je me verrai bien passer l’éternité dans le cosmos.

2 commentaires:

Sacrip'Anne a dit…

Il est chouette, ce billet, mon cher Hadès !! Et ça fait plaisir de te lire.

Moi qui suis plutôt hyper connectée, j'aurais du mal à me passer de l'encyclopédie dans ma poche, du lien avec les autres. En revanche, le corollaire Big Brother, lui, me pèse, souvent...

Enfin...

Soupir.

Malgré tout je crois qu'on aimerait pas être vraiment invisibles...

Hadès a dit…

Sacrip'Anne! Quel plaisir de te retrouver! J'espère que tu continues à aller le mieux possible avec ta cro mignonne et ton bonhomme:-))))