lundi 23 juin 2008

La petite Elvire

Mon hôte travaille avec des enfants, allez ce n’est pas traduire grand secret si je vous dis que c’est dans un collège avec la tranche d’âge 11/16 ans. Le bel âge : celui où ils sont à la fois le plus chiant (y a pas d’autre mot je crois) et le plus attachant ce laps de temps très court où les petites filles deviennent femme dont on dit qu’elle est si belle au sortir de l’enfance et les petits garçons de grands benêts et je suis poli.

On vit avec nos enfants tous les jours alors parfois on ne les voit pas grandir mais de l’extérieur, les gosses des autres on les voit de temps en temps et parfois on ne fait pas attention à eux pendant plusieurs semaines, plusieurs mois et tout d’un coup on voit débarquer une grande pleine de seins ou un grand plein de poils et dans tous les cas de boutons et de doute. Ils sont merveilleux et je les adore même les plus durs peut-être davantage que les autres les plus durs. On ne prête qu’aux riches et ils sont très riches de souffrance et y a des gosses qui souffrent vous n’avez pas idées. Des petiots qui n’ont rien à faire des math, du français ou des sciences de la vie et de la terre. Ils viennent chercher au collège un équilibre, une reconnaissance, des repères qu’ils n’ont plus, qu’ils n’ont peut-être jamais eu.

Des familles à la Zola pas toujours très pauvre mais souvent et souvent avec le cortège de béatitudes qui va avec : pas de boulot ou des trucs à mi-temps pour 6 mois (juste de quoi faire plaisir aux statisticiens du chômage), et puis aussi un des parents qui picole (parfois les deux) enfin le quart monde quoi. Ca existe devant chez moi donc devant chez vous. Et çà vous fait des gosses brisés à qui il faudrait 7 vies comme les chats, pour arriver à en vivre une à peu prés correcte. Alors avec l’assistante sociale on essaie de repérer les enfants en situation difficile. Les repérer c’est facile, intervenir ça l’est moins. Mais l’AS elle sait faire : trouver les mots, amener les situations qui permettent de parler aux enfants comme à leurs parents. Parce que vous avez remarqué que, autant les pleins aux as ils s’étalent au grand jour, autant les fauchés sont très discrets c’est pour çà d’ailleurs que l’on croit qu’ils n’existent pas et donc que l’on ne fait rien pour eux.

La petite qui m’amène à vider mon sac ce soir s’appelle Elvire : un petit bout de chou de rien du tout que l’AS suivait depuis quelques temps et dont elle pensait qu’elle ne mangeait pas à sa faim. Elle m’avait prévenu et un matin à l’arrivée des bus, vers 7H45, j’ai vu débarqué la petite Elvire à mon bureau.

Elle a frappé à ma porte et je suis allé lui ouvrir. Elle était là devant moi avec son petit mètre trente et ses grands yeux bleu et cernés et un grand sourire. Et l’association de ce sourire et de cette tristesse donnait une douloureuse image de désespoir. Je l’ai prise par l’épaule et je l’ai conduite à la salle à manger du personnel. J’avais prévenu le cuisinier et il avait préparé ce qu’il fallait et je lui ai servi son petit déjeuner. Je lui ai demandé si elle avait faim mais ma question était idiote : il suffisait de la regarder manger pour s’en rendre compte. Elle m’a répondu « Oh oui » en attaquant la troisième tartine. J’en aurai chialé de rage mais comme elle était là je lui ai fait un grand sourire et je lui ai dit de prendre son temps que j’allais prévenir sa prof de SVT qu’elle serait un peu en retard.

Tous les matins la petite Elvire vient prendre son petit déjeuner au collège et quand j’ai le temps je l’accompagne en prenant un café. C’est mon premier bonheur de la journée. La semaine prochaine ce sont les vacances et qui va lui donner son petit dèj à mon petit oiseau hein , toute seule chez elle avec son père fauché et le frigo vide?

Au vu de la comptabilité publique je suis fautif car je la nourris gratuitement. Pour être en règle avec le droit il faudrait que je la laisse le ventre vide. On vit une époque formidable. Que faire je ne sais pas alors je continue mon travail de fourmis et je donne à manger ou à sourire (ce qui est un peu la même chose) à des enfants. Y a pire comme métier mais tant que je continuerai à le faire c’est qu’il y aura des petites Elvire qui partiront de chez elle le ventre vide et la tête pleine de questions sur le monde où elles ont débarqué.

Pardonnes mon blues de ce soir mon pote mais les petites filles tristes me bouleversent et les grandes aussi d’ailleurs n’est ce pas Perséphone ?

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